La dictature de la blancheur :Republic Dominicaine

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RÉPUBLIQUE DOMINICAINE: "La dictature de la blancheur Pour la population de cette République caribéenne, les cheveux crépus ou la peau foncée constituent un handicap social.

Les femmes emploient donc les grands moyens pour paraître blanches.

Quitte à se renier.

DE SAINT-DOMINGUE
Yara Matos attend patiemment que la coiffeuse ait fini de lui attacher les longues mèches de cheveux lisses importées de Chine.

La jeune femme n'a rien contre les cheveux crépus. Même si les Dominicains les surnomment le "pelo malo" [les mauvais cheveux], ce qui est très péjoratif.

Mais une femme qui a une activité professionnelle ne peut se permettre de garder ses cheveux au naturel.

"Quand on travaille dans une banque, on ne peut pas avoir les cheveux crépus, ça a un côté négligé.

Les cheveux lisses sont en revanche une marque d'élégance, assure-t-elle.

Ne croyez pas que je cherche à faire plus blanche ; je veux juste être jolie." Et pour la majorité des femmes de République dominicaine, être jolie, c'est avoir l'air moins noire.

Les coiffeurs de l'île sont célèbres dans le monde entier pour avoir mis au point les meilleures techniques de lissage des cheveux.

Les étals des rayons cosmétiques regorgent d'extensions capillaires, de produits pour blanchir la peau et pour assouplir les cheveux.

L'identification ethnique est un sujet complexe et épineux dans le pays, elle se définit moins par la couleur de la peau que par la texture des cheveux, la largeur du nez et même l'épaisseur du portefeuille.

Plus vous êtes riche et plus votre peau paraît blanche.

Et, selon les spécialistes du sujet, cette attitude s'explique par un rejet de tout ce qui est noir. Ici prévaut, comme dans toute l'Amérique latine, la règle de la goutte de sang. Sauf qu'ici elle fonctionne à l'inverse: une seule goutte de sang blanc suffit pour se considérer comme blanc.

Un simple coup d'Å"il dans les rues de ce pays permet de s'apercevoir que 90 % des Dominicains sont noirs ou métissés. Mais, d'après les chiffres du recensement, seulement 11 % des 9 millions d'habitants du pays sont noirs.

Pour de nombreux Dominicains, être noir, c'est être haïtien.

Résultat, les Dominicains de couleur préfèrent recourir à un vocabulaire qui remonte à des centaines d'années pour définir leur ascendance: ils se disent indien, indien grillé, indien crotté, indien délavé, indien foncé, cannelle, moreno ou mulato, mais rarement negro.

"On a dit aux Noirs de Cuba qu'ils étaient noirs mais, on a dit aux Noirs de République dominicaine qu'ils étaie nt indiens", explique l'historienne dominicaine Celsa Albert, qui est noire.

"Je ne suis pas indienne.

Cette couleur de peau n'existe pas. Les gens me disaient: `Tu n'es pas noire.' Si moi je ne suis pas noire, alors il n'y a pas le moindre Noir sur cette planète."

"Sous Trujillo, il n'y avait rien de pire que d'être noir"

Pour les chercheurs, cette question de l'identité raciale remonte au XVIIIe siècle, quand l'économie de la canne à sucre s'est effondrée et que de nombreux esclaves sont devenus libres et ont pu se hisser dans la société.

Ensuite, le conflit avec Haïti - qui partage l'île d'Hispaniola avec la République dominicaine - a commencé.

Les esclaves d'Haïti se sont révoltés contre les Français et ont déclaré leur indépendance en 1804. Les Haïtiens se sont emparés de l'île entière en 1822 et ont pris le pouvoir dans l'ancienne République dominicaine hispanique.

Encore aujourd'hui, la fête de l'indépendance de la République célèbre non pas la fin de siècles de colonisation espagnole, mais la fin de l'occupation haïtienne.

Le dictateur Rafael Trujillo, au pouvoir de 1930 à 1961, a attisé le sentiment antihaïtien, et on l'accuse d'être à l'origine de ces nombreuses
catégories raciales qui évitent à tout prix le mot "noir".

Cette pratique a continué sous le président Joaquín Balaguer, qui se plaignait souvent de ce que les Haïtiens "assombrissent" le pays. "Sous la présidence de Trujillo, il n'y avait rien de pire
que d'être noir" raconte le poète africain-américain Blas Jiménez. L'animosité à l'égard des Haïtiens est tenace.

Il n'est pas rare que des Dominicains noirs soient expulsés par erreur, et les lynchages d'Haïtiens se multiplient.

Le gouvernement refuse la citoyenneté et l'éducation aux enfants des clandestins haïtiens nés sur le sol dominicain.

Quand la militante des droits des immigrés Sonia Pierre a remporté le prestigieux prix des droits de l'homme Robert F. Kennedy e n 2006, le gouvernement a riposté en essayant de la priver de sa citoyenneté, au motif qu'elle serait en fait haïtienne.

"Il y a un refus incroyable de la couleur noire - ce qui est noir est forcément mauvais", explique la féministe noire Sergia Galván. "La couleur noire est associée à l'opacité, à l'illégalité, à la laideur, à la clandestinité.

Il règne ici la dictature d'un certain type de beauté et la pression sociale est extrêmement forte.

Il y a même des écoles où les tresses africaines et les cheveux crépus sont interdits." A en croire certaines femmes, le rejet des cheveux crépus est tellement ancré dans les mentalités que les gens insultent les femmes qui ne se les font pas lisser.

"Je ne peux pas prendre le bus, sinon les gens me tirent les cheveux et y plantent des peignes", explique Xiomara Fortuna, une artiste qui tient à sa coiffure afro. "Ils me demandent si je viens de sortir de prison.

Les gens refusent d'être confrontés à l'image de leurs cheveux a u naturel." Les heures passées chez le coiffeur pour se faire poser des extensions capillaires ou subir de douloureux traitements chimiques afin de défriser
les cheveux sont en fait une expression du nationalisme dominicain, estime Ginetta Candelario, qui étudie la complexité des liens entre race et beauté en République dominicaine au Smith College, dans le Massachusetts.

"Ce n'est pas de la haine de soi, explique Ginetta Candelario.

Pour subir tout cela, il faut vraiment avoir confiance en soi. C'est une manière de prendre soin de sa personne, de manifester l'amour de son pays, mais aussi de s'affirmer et de se faire plaisir." L'argent, l'éducation et la classe sociale - et évidemment des cheveux lisses - peuvent permettre à des Dominicains à la peau foncée de passer pour des Blancs.

De nombreux Dominicains disent d'ailleurs qu'ils ignoraient qu'ils étaient noirs jusqu'à ce qu'ils se rendent aux Etats-Unis!"

Frances Robles
The Miami Herald

Lionne, June 12 2008, 2:45 AM

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