HAITI: Pouvoir Prochaines Années Hypothéquées

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Les trois prochaines années hypothéquées à l'avance!
PORT-AU-PRINCE, 1er Juin - Petit à petit le piège se referme sur le Président René Préval. Piège qui a pour particularité qu'il est une conséquence de la propre politique qu'il a choisi de mener et qui lui avait valu jusqu'ici, il est vrai, que des félicitations.

La politique de consensus, dite encore de réconciliation nationale.

Bien que la nation elle-même n'ait pas grand chose à y voir et qu'il conviendrait de dire plutôt: la politique de " la république de Port-au-Prince."Mais l'échéance des présidentielles de 2011 avance.

Les deux premières années de lune de miel du quinquennat sont terminées. Le Premier ministre Jacques Edouard Alexis a été destitué par une conspiration réunissant une majorité sénatoriale de plusieurs appartenances (y compris Lavalas ou pseudo-Lavalas), mais en majorité ancienne opposition; des leaders de cette même ancienne opposition qui entendent profiter de la réconciliation miraculeuse pour prendre le contrôle des positions les plus stratégiques sur la mappemonde électorale déjà en plein remue ménage; enfin la petite camarilla habituelle des hommes et femmes du président (la petite junte, comme on disait autrefois).

Cette dernière soit pour renforcer le béton autour du fauteuil présidentiel, soit par tentation de jouer les faiseurs de roi. Premier ministre aujourd'hui, Président demain, qui sait!Dèyè mòn gen mòn "...

Cependant voilà autant de menaces de stress pour le Président Préval - dont on sait qu'il n'en a pas particulièrement besoin.

Et comme chez nous les problèmes (dès que cela commence) engendrent toujours d'autres problèmes (en créole " dèyè mòn gen mòn "), nous pouvons prévoir que les trois prochaines années ne vont pas être de folle gaieté.Il semblerait que les grands stratèges du vote de censure du 12 avril avaient garanti à M. Préval que tout se passerait comme sur des roulettes.

A voir la manière combien décidée avec laquelle il a abordé ce tournant.

" Eh bien, je vais devoir me trouver un Premier ministre ", avait-il lancé gaillardement lorsqu'il a appris la nouvelle.

Il clôturait au même moment au palais national une conférence de presse sur les émeutes dites de la faim qui venaient d'agiter la capitale.

La désignation de Ericq Pierre passa du premier coup le test du sénat qui avait renversé Alexis et qui était avide de transformer l'essai, de remplir le vide ainsi créé.

Mais devant la Chambre des députés, patatras.

Et c'est alors que la crise va apparaître sous son vrai visage.

Et qu'elle n'est pas seulement une crise d'aujourd'hui mais déjà celle de demain.

En effet, en Ericq Pierre ce n'est pas seulement le Premier ministre désigné qui a été rejeté par la CPP (Concertation des parlementaires progressistes) que la politique même du Président Préval. Un vent de fronde contre le Président...

La Concertation, groupe majoritaire à la chambre basse, ne compte pas moins de 20 députés du parti Lespwa dans ses rangs.

Lespwa est le parti de M. Préval (du moins la plate-forme politique qui a présenté sa candidature aux présidentielles de 2006).

Or derrière le refus de son Premier ministre désigné, coup de théâtre, c'est un vent de fronde qui se lève contre le Président.

Du moins contre la façon dont il gère la " réconciliation ".

On signale plein d'exemples.

Les figures les plus influentes arpentant les couloirs du palais national.

Les hommes du jour, quoi. Les déplacements du Président à travers le pays. Une politique de plus en plus sélective, de plus en plus jalouse et suspecte.

Mais ce n'est pas fini. Les plans annoncés pour une nouvelle redistribution des cartes au sein du Gouvernement.

Si celui d'Alexis a " échoué " c'est que la répartition n'était pas la bonne.

Elémentaire, mon cher Watson!

En commençant par introduire les nouvelles dispositions à la Primature elle-même (qui mettra donc mathématiquement cette dernière sous les ordres de l'ancienne opposition, histoire de contrebalancer le PM qui est choisi par le Président.) Et quoi encore.

Et tout cela le plus démocratiquement du monde.

" Bien compter, mal calculer "...

Mais c'est comme si les autres sont tous des imbéciles qui vont rester les bras croisés à regarder se tresser la corde pour les pendre, alors qu'il leur reste encore quelques bonnes armes.

Et tout aussi démocratiques.

Comme on dit en créole c'est " bien compter, mal calculer.

" Le beau scénario tombe sur un bec. C'est la CPP et aussi l'influence qu'y exerce Lespwa.

Or à chaque fois qu'un choix du Président est repoussé (les deux chambres législatives votent séparément et leur décision est sans recours), c'est l'image présidentielle qui est écornée. Et si nous les Haïtiens sommes habitués à ce cinéma, si nous nous y sommes résignés tout à fait, par contre aux yeux de l'international (qui est aussi aujourd'hui un acteur interne), cela laisse des traces.

Voici le Président Préval condamné à apparaître chaque jour encore plus impuissant.

D'un côté, ne pouvant contenter ses alliés naturels, et de l'autre livré toujours plus, seul et désarmé, aux mains de ses anciens ennemis, ces derniers bien entendu prêts à le balancer par-dessus bord dès qu'il refuse de marcher droit, s'il tente de revenir en arrière. Les faits ont la tête dure. Libre au Président si son rôle préféré c'est " le roi est nu, vive le roi " (n'est-il pas couvert de gloire pour sa politique de réconciliation!).

Mais la logique ne suit pas. L'arithmétique dit tout le contraire.

Les faits parlent d'eux-mêmes. Et les faits ont la tête dure.
En effet, ceux que nous appelons ses alliés naturels pourraient revendiquer près des trois quarts du vote aux dernières élections (bien que ça soit un peu plus compliqué que cela), tandis que ses nouveaux amis tous ensemble n'ont pas fait plus de 3 pour cent. Nous apprécions, nous aussi, la politique de consensus.

Nul besoin de prouver que les luttes intestines nous ont amené à ce champ de ruines.

Mais pas une réconciliation comme celle qui se dessine aujourd'hui plus encore qu'avant et qui commence par un " domestic take over " (un coup d'état maison) opéré dans l'entourage du chef de l'Etat.

On se souvient du mot de feu Grégoire Eugène après l'union Baby Doc-Michèle Bennett: le " coup d'état en parachute de la droite." Apprentis-Machiavel.Pour finir, au-delà des hommes (car il y a longtemps depuis que l'on ne peut plus se faire d'illusions au sujet des hommes de ce pays), eh bien il y a la nation.

Il y a plus de 8 millions qui souffrent de la faim, de toutes les maladies curables, de l'analphabétisme.

Et 1 million et demi en diaspora qui se font désigner du doigt comme les ressortissants d'un pays qui se condamne lui-même à son existence de grabataire.

Et que ces jeux irrationnels aux mains d'apprentis-Machiavel ne cessent de pousser encore plus vite dans le néant. Non, les trois prochaines années, ce ne sera pas la joie. Si encore l'on tient jusque-là.Si le Président Préval lui aussi peut tenir jusque-là.

Haïti en Marche, 1er Juin 2008

Timaurice, June 6 2008, 10:58 PM

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