Insécurité Haiti : Pour qui sonne encore le glas?

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18 mars 2008: A mon arrivée à l'ANDAH samedi après midi [2], j'ai été informé de l'assassinat odieux, dans la nuit du vendredi 14 mars 2008, de l'Agronome Jean-Mari ROMAIN (près de Pelerin 3, sur la route de Laboule/Kenscoff).

Tout de suite ont défilé dans ma tête les images de tant d'autres enfants du pays, de tant d'enfants prodiges fauchés eux aussi par des assassins qui probablement circulent encore librement et en toute impunité dans la ville: Jean Marie Vincent, Jean Pierre-Louis, Jean Dominique, Danielle Lustin (22 oct. 2003) et puis certains anonymes tel Jonathan Louisma, un petit garçon des rues âgé de 16 ans dévoré par des chiens au Commissariat de Port-au-Prince le 14 octobre 2003 après avoir été arrêté.

Notre mémoire est peuplée de tant de cadavres que, dans notre esprit s'est installé peu à peu, insidieusement, la banalisation du crime.

De nos tympans résonne certes à l'infini le mot « Justice » mais nos bouches semblent cousues puisqu'il y a une force qui nous manque alors qu'autour de nous c'est le règne de l'Impunité généralisée et de l'Insécurité maintenant ciblée et stabilisée.

Citoyens domptés, nous pratiquons dorénavant la subordination la plus totale et appliquons de manière automatique une autocensure contraire à notre traditionnel respect pour la Vie. Pour illustrer notre propos, référons nous par exemple à l'incident survenu le samedi 1 er mars 2008 à Ounaminthe au cours duquel un jeune homme a été exécuté par la MINUSTAH [3] qui tirait dans la ville à hauteur d'homme.

Une telle information a été peu diffusée à l'échelle nationale.

En fait, dans la société Haïtienne contemporaine, l'exécution d'un citoyen ou d'une citoyenne passe dans la banalité du quotidien et est vite classée à la rubrique des faits divers, a moins qu'il s'agisse d'un proche, d'une connaissance.

Peu à peu nous nous déshumanisons et en sommes réduits à nous poser la question: « Pour qui sonne le glas?

», comme si l'assassinat de tout homme, de toute femme n'était pas, comme l'a bien précisé Ernest Hemingway, une perte pour la Terre entière.

En moins de 4 ans, l'ANDAH (l'Association des Agro- professionnels Haïtiens), compte 2 membres assassinés

A la veille de la Noël 2003, l'un de nos membres fondateurs, l'agronome Rodini CONTE a été torturé puis lâchement assassiné en sa résidence à Petion-Ville ; son ou ses bourreaux n'hésitant pas à exécuter leur criminel forfait malgré le très grand âge et la blanche chevelure de Rodini.

• Aujourd'hui, c'est un jeune agronome, une semence d'espoir, qui vient d'être très expertement assassiné par une balle bien placée sous le cou.

Le 20 août prochain, dans 5 mois, l'agronome Jean Mari ROMAIN aurait eu 44 ans, mais, les chacals ne lui ont pas laissé le temps.

Il ne sera pas présent en chair et en os à Cayes-Jacmel, son lieu de naissance, pour célébrer cette nouvelle récolte de café, même si dans notre cÅ"ur, nos morts demeurent.

Il y a quelque temps que je n'avais pas rencontré Jean-Mari à l'ANDAH, ce dernier étant très pris sur le terrain à cause de ses fonctions de Directeur Départemental du Sud-Est au Ministère de l'Environnement.

A cette fonction, l'agronome Jean-Mari ROMAIN avait aussi la charge de gérer le Parc National de La Visite.

En parcourant aujourd'hui sa fiche d'inscription à l'ANDAH (datée du 14 juin 1999), je relisais les motifs ou intérêts de son adhésion à l'Association :

« 1. Approfondir mes investigations
2. Pour être toujours en contact avec le milieu rural »

Au niveau de son plan de carrière/spécialités et champ d'activité professionnelle principale, Jean-Mari écrivait sans détour: « Production ».

L'agronome Jean-Mari ROMAIN, un grand gaillard assez costaud, parlait peu aux Assemblées et il semblait suivre les préceptes d'Epictète en ne disant que les choses nécessaires et en peu de mots. Mais quelle force de conviction quand il s'exprimait, quelle fermeté !

Apres avoir suivi des cours de 1989 à 1991 à l'Institut des Hautes Etudes Commerciales et des Sciences Economiques (IHICE), Jean-Mari ROMAIN part pour Cuba en 1991 ou il apprend d'abord l'espagnol puis s'inscrit à l'Université Centrale Marta Abreu de la Villas (UCLV) située près de Santa Clara.

En 1997, après 6 années d'âpres études théoriques et pratiques, il sort de la UCLV avec en poche son diplôme d'ingénieur-agronome.

Parmi les études et/ou recherches réalisées à Cuba citons :
• Etudes des différents types de sol (Cuba)
• Etude sur différentes variétés de tomate
• Contrôle de Cylas formicarius (insecte attaquant la patate)

Désireux de devenir un technicien encore plus performant, c'est-à-dire pouvant accompagner convenablement les petits producteurs paysans, Jean-Mari poursuit encore ses études en République Dominicaine (sur le café, la pomme de terre et la culture de l'aubergine entre autres).

Peu de temps après, il retourne à Port-au-Prince pour mettre son expertise au service d'Haïti.

L'agronome Jean-Mari ROMAIN contribue alors à former la Jeunesse Universitaire Haïtienne en dispensant notamment des cours à l'Université Quisqueya.

Mais il est encore une fois rattrapé par sa soif d'augmenter ses compétences en allant suivre des cours post-gradués en relation avec la gestion de l'Environnement, en Belgique.

Avant de rejoindre le Ministère de l'Environnement, il a « roulé sa bosse » comme on dit dans diverses ONG, tentant d'accompagner les producteurs paysans dans des conditions et/ou terrains assez difficiles, par exemple à La Gonâve avec la World Vision.

Ceux qui l'ont pratiqué à Anse- à -Galets gardent de lui le souvenir d'une personne d'une grande sensibilité sociale exigeant que tous et toutes puissent jouir des bénéfices des projets agricoles à sa charge, en toute dignité, en toute équité.

L'agronome Jean-Mari ROMAIN était un bon vivant qui était de bon commerce avec tout le monde mais il ne tolérait cependant aucune forme d'injustice.

Plus d'un se souviendront de son court passage à La Gonâve ; aussi bien les bénéficiaires des plantules maraîchères produites au niveau des localités de Zabriko, Nan Kafe et Tamarin que les démunis et opprimés qui trouvaient auprès de lui plus qu'un ami, un frère.

Voici campé l'agronome de terrain, le citoyen humble et honnête qui vient d'être lâchement, odieusement assassiné à un moment où les responsables nous parlent de relancer la Production Nationale et plus particulièrement la Production Agricole.

Finalement, posons la question de rigueur: A qui profite ce crime?

Est-ce un avertissement et à qui et pourquoi?

En vérité, il nous faut trouver, construire, la force qui nous manque, nous citoyens et citoyennes de ce pays meurtri pour, de manière organisée et responsable, démanteler enfin la structure mafieuse qui alimente cette Impunité séculaire et institutionnalisée.

Il nous faut, en Légitime Défense, prendre les dispositions qui s'imposent pour nous attaquer farouchement et sans relâche à l'Insécurité maintenant expertement stabilisée.

Il nous faut un Système Judiciaire qui permette que les enquêtes aboutissent afin que soient enfin menottées les mains crapuleuses, peut être « au dessus de tous soupçons » et/ou intouchables qui font couler depuis de multiples décennies le sang de tant d'enfants de lumière. Ceux qui sont responsables du sang versé doivent être jugés et être sans concessions condamnés.

Sommes nous prêts à mener ce long et périlleux combat pour que s'établisse enfin le règne de la Justice en Haïti où allons nous continuer à gémir lors de la mise en Å"uvre des prochains crimes d'ores et déjà programmés?

Comment dans un tel contexte allons nous pouvoir « réconforter », toute honte bue, les amis et proches parents de l'agronome Jean-Mari ROMAIN?

Comment allons nous pouvoir regarder « dans les yeux » l'épouse et les enfants de Jean-Mari, en particulier Che-Alexis (10 ans) et Laura (7 ans) et leur dire: Courage?

En matière de Justice et de Sécurité, à coté des devoirs des citoyens et citoyennes, les gouvernants ont une responsabilité de taille et à ce propos nous les invitons à méditer sur l'extrait reproduit ci-après d'une Lettre Ouverte de la Fondation Jean-Marie Vincent en date du 29 juin 1995 :

« Sans Justice, les régimes politiques qui remplaceront les dictatures ressembleront telles deux gouttes d'eau à une dictature mal fardée ».

Nous avons écris ces quelques lignes pour témoigner et par devoir de mémoire.

Il nous semble ici si futile, si dérisoire d'exprimer en l'occasion notre réprobation de ce crime odieux ou de présenter nos condoléances, convaincus - en référence au départ précipité de l'agronome Jean-Mari ROMAIN - que « la bonne semence, même si elle tombe dans la mer, deviendra une île ».

Claude, March 31 2008, 2:02 PM

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