Toulimen Et Ricardo S: L'ONU Sur La Sellette

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Jeudi, 23 decembre 2010 10:59

Ricardo Seitenfus met a nu l'ONU
Dans une interview accordee au journal suisse « le Temps » le representant special du Secretaire general de l'OEA, Ricardo Seintenfus s'est montre tres critique vis -a vis de l'Organisation des Nations Unies
Le Temps: Dix mille Casques bleus en Haiti.

A votre sens, une presence contre-productive...

Ricardo Seitenfus: Le systeme de prevention des litiges dans le cadre du systeme onusien n'est pas adapte au contexte haitien.

Haiti n'est pas une menace internationale.

Nous ne sommes pas en situation de guerre civile.

Haiti n'est ni l'Irak ni l'Afghanistan.

Et pourtant le Conseil de securite, puisqu'il manque d'alternative, a impose des Casques bleus depuis 2004, apres le depart du president Aristide.

Depuis 1990, nous en sommes ici a notre huitieme mission onusienne.

Haiti vit depuis 1986 et le depart de Jean-Claude Duvalier ce que j'appelle un conflit de basse intensite.

Nous sommes confrontes a des luttes pour le pouvoir entre des acteurs politiques qui ne respectent pas le jeu democratique.

Mais il me semble qu'Haiti, sur la scene internationale, paie essentiellement sa grande proximite avec les Etats-Unis.

Haiti a ete l'objet d'une attention negative de la part du systeme international.

Il s'agissait pour l'ONU de geler le pouvoir et de transformer les Haitiens en prisonniers de leur propre ile. L'angoisse des boat people explique pour beaucoup les decisions de l'international vis-a-vis d'Haiti.

On veut a tout prix qu'ils restent chez eux.
- Qu'est-ce qui empeche la normalisation du cas haitien?

- Pendant deux cents ans, la presence de troupes etrangeres a alterne avec celle de dictateurs.

C'est la force qui definit les relations internationales avec Haiti et jamais le dialogue.

Le peche originel d'Haiti, sur la scene mondiale, c'est sa liberation.

Les Haitiens commettent l'inacceptable en 1804: un crime de lese-majeste pour un monde inquiet.

L'Occident est alors un monde colonialiste, esclavagiste et raciste qui base sa richesse sur l'exploitation des terres conquises.

Donc, le modele revolutionnaire haitien fait peur aux grandes puissances.

Les Etats-Unis ne reconnaissent l'independance d'Haiti qu'en 1865. Et la France exige le paiement d'une rancon pour accepter cette liberation.

Des le depart, l'independance est compromise et le developpement du pays entrave.

Le monde n'a jamais su comment traiter Haiti, alors il a fini par l'ignorer.

Ont commence deux cents ans de solitude sur la scene internationale.

Aujourd'hui, l'ONU applique aveuglement le chapitre 7 de sa charte, elle deploie ses troupes pour imposer son operation de paix. On ne resout rien, on empire.

On veut faire d'Haiti un pays capitaliste, une plate-forme d'exportation pour le marche americain, c'est absurde.

Haiti doit revenir a ce qu'il est, c'est-a-dire un pays essentiellement agricole encore fondamentalement impregne de droit coutumier.

Le pays est sans cesse decrit sous l'angle de sa violence.

Mais, sans Etat, le niveau de violence n'atteint pourtant qu'une fraction de celle des pays d'Amerique latine.

Il existe des elements dans cette societe qui ont pu empecher que la violence se repande sans mesure.

- N'est-ce pas une demission de voir en Haiti une nation inassimilable, dont le seul horizon est le retour a des valeurs traditionnelles?

- Il existe une partie d'Haiti qui est moderne, urbaine et tournee vers l'etranger.

On estime a 4 millions le nombre de Haitiens qui vivent en dehors de leurs frontieres.

C'est un pays ouvert au monde.

Je ne reve pas d'un retour au XVIe&#8201;siecle, a une societe agraire.

Mais Haiti vit sous l'influence de l'international, des ONG, de la charite universelle.

Plus de 90% du systeme educatif et de la sante sont en mains privees.

Le pays ne dispose pas de ressources publiques pour pouvoir faire fonctionner d'une maniere minimale un systeme etatique.

L'ONU echoue a tenir compte des traits culturels.

Resumer Haiti a une operation de paix, c'est faire l'economie des veritables defis qui se presentent au pays. Le probleme est socio-economique.

Quand le taux de chomage atteint 80%, il est insupportable de deployer une mission de stabilisation.

Il n'y a rien a stabiliser et tout a batir.

- Haiti est un des pays les plus aides du monde et pourtant la situation n'a fait que se deteriorer depuis vingt-cinq ans. Pourquoi?

- L'aide d'urgence est efficace.

Mais lorsqu'elle devient structurelle, lorsqu'elle se substitue a l'Etat dans toutes ses missions, on aboutit a une deresponsabilisation collective.

S'il existe une preuve de l'echec
de l'aide internationale, c'est Haiti.

Le pays en est devenu la Mecque.

Le seisme du 12 janvier, puis l'epidemie de cholera ne font qu'accentuer ce phenomene.

La communaute internationale a le sentiment de devoir refaire chaque jour ce qu'elle a termine la veille.

La fatigue d'Haiti commence a poindre.

Cette petite nation doit surprendre la conscience universelle avec des catastrophes de plus en plus enormes.

J'avais l'espoir que, dans la detresse du 12 janvier, le monde allait comprendre qu'il avait fait fausse route avec Haiti.

Malheureusement, on a renforce la meme politique.

Au lieu de faire un bilan, on a envoye davantage de soldats.

Il faut construire des routes, elever des barrages, participer a l'organisation de l'Etat, au systeme judiciaire.

L'ONU dit qu'elle n'a pas de mandat pour cela. Son mandat en Haiti, c'est de maintenir la paix du cimetiere.

- Quel role jouent les ONG dans cette faillite?

- A partir du seisme, Haiti est devenu un carrefour incontournable.

Pour les ONG transnationales, Haiti s'est transforme en un lieu de passage force.

Je dirais meme pire que cela: de formation professionnelle.

L'age des cooperants qui sont arrives apres le seisme est tres bas; ils debarquent en Haiti sans aucune experience.

Et Haiti, je peux vous le dire, ne convient pas aux amateurs.

Apres le 12 janvier, a cause du recrutement massif, la qualite professionnelle a beaucoup baisse.

Il existe une relation malefique ou perverse entre la force des ONG et la faiblesse de l'Etat haitien.

Certaines ONG n'existent qu'a cause du malheur haitien.

- Quelles erreurs ont ete commises apres le seisme?

- Face a l'importation massive de biens de consommation pour nourrir les sans-abri, la situation de l'agriculture haitienne s'est encore pejoree.

Le pays offre un champ libre a toutes les experiences humanitaires.

Il est inacceptable du point de vue moral de considerer Haiti comme un laboratoire.

La reconstruction d'Haiti et la promesse que nous faisons miroiter de 11 milliards de dollars attisent les convoitises.

Il semble qu'une foule de gens viennent en Haiti, non pas pour Haiti, mais pour faire des affaires.

Pour moi qui suis Americain, c'est une honte, une offense a notre conscience.

Un exemple: celui des medecins haitiens que Cuba forme.

Plus de 500 ont ete instruits a La Havane.

Pres de la moitie d'entre eux, alors qu'ils devraient etre en Haiti, travaillent aujourd'hui aux Etats-Unis, au Canada ou en France.

La revolution cubaine est en train de financer la formation de ressources humaines pour ses voisins capitalistes
On decrit sans cesse Haiti comme la marge du monde, vous ressentez plutot le pays comme un concentre de notre monde contemporain
C'est le concentre de nos drames et des echecs de la solidarite internationale.

Nous ne sommes pas a la hauteur du defi. La presse mondiale vient en Haiti et decrit le chaos.

La reaction de l'opinion publique ne se fait pas attendre.

Pour elle, Haiti est un des pires pays du monde.

Il faut aller vers la culture haitienne, il faut aller vers le terroir.

Je crois qu'il y a trop de medecins au chevet du malade et la majorite de ces medecins sont des economistes.

Or, en Haiti, il faut des anthropologues, des sociologues, des historiens, des politologues et meme des theologiens.

Haiti est trop complexe pour des gens qui sont presses; les cooperants sont presses.

Personne ne prend le temps ni n'a le gout de tenter de comprendre ce que je pourrais appeler l'ame haitienne.

Les Haitiens l'ont bien saisi, qui nous considerent, nous la communaute internationale, comme une vache a traire.

Ils veulent tirer profit de cette presence et ils le font avec une maestria extraordinaire.

Si les Haitiens nous considerent seulement par l'argent que nous apportons, c'est parce que nous nous sommes presentes comme cela.
- Au-dela du constat d'echec, quelles solutions proposez-vous
Dans deux mois, j'aurai termine une mission de deux ans en Haiti.

Pour rester ici, et ne pas etre terrasse par ce que je vois, j'ai du me creer un certain nombre de defenses psychologiques.

Je voulais rester une voix independante malgre le poids de l'organisation que je represente.

J'ai tenu parce que je voulais exprimer mes doutes profonds et dire au monde que cela suffit.

Cela suffit de jouer avec Haiti.

Le 12 janvier m'a appris qu'il existe un potentiel de solidarite extraordinaire dans le monde.

Meme s'il ne faut pas oublier que, dans les premiers jours, ce sont les Haitiens tout seuls, les mains nues, qui ont tente de sauver leurs proches.

La compassion a ete tres importante dans l'urgence.

Mais la charite ne peut pas etre le moteur des relations internationales.

Ce sont l'autonomie, la souverainete, le commerce equitable, le respect d'autrui qui devraient l'etre.

Nous devons penser simultanement a offrir des opportunites d'exportation pour Haiti

Toulimen, January 29 2011, 3:18 PM

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